Une journée avec la chaire Transformation de l’action publique

Cette chaire, dont la vocation est d’interroger et explorer les transformations innovantes de l’action publique, est portée par Sciences Po Lyon. Sa rencontre annuelle a eu lieu le 16 novembre dernier, réunissant un écosystème de chercheurs, experts, designers, agents publics et citoyens. L’avancement des travaux de la chaire ont été partagés et discutés, en particulier le projet de “cartographie des territoires de l’innovation publique” (recherche action poursuivie par Juan-David Pinzon).

À l’appui d’entretiens et études de cas, cette étude investigue les acteurs, formes et écosystèmes favorables à la transformation innovante de l’action publique. Les premiers constats ont permis de formuler quelques tensions, qui ont été proposés par les organisateurs comme points de départ pour des ateliers de travail. Contribuant sur la thématique “communautés”, je restitue ici brièvement l’esprit des échanges qui ont animé chaque groupe. Forcément, ma lecture est colorée par les questionnements/perspectives qu’ils ouvrent pour le design :

–       Les métiers de l’innovation publique : porteurs de sens [ou] bullshit jobs ?

Depuis une dizaine d’années, ce secteur attire largement des profils de “bricoleurs”, engagés dans une perspective de soin (care) et désireux d’avoir un impact concret. Christian Paul, coordonnateur de la chaire, remarque l’envie d’agir des jeunes générations, qui les pousse à s’attaquer avec courage et enthousiasme aux conservatismes de la machine bureaucratique. Néanmoins, ces profils hybrides sont souvent employés comme “couteaux suisses” sur le terrain, au risque du désenchantement (isolement, incompréhensions, frustrations). Les projections professionnelles restent nébuleuses, et la fragilité de l’engagement réelle. Comment alors valoriser les expériences et compétences, pour accompagner un réel développement identitaire et de carrières ?

–       Les communautés innovantes : jungles [ou] jardins d’Eden ?

Si se regrouper pour rompre l’isolement est a priori vertueux, les retours d’expérience témoignent parfois d’une stagnation provoquée par la mise en commun de vécus difficiles. Le pilotage et l’animation sont alors clé pour éviter l’essoufflement. Plutôt que d’entre-soi, les réseaux de partage se nourrissent de la diversité. Il faut donc inclure, mais aussi et surtout qualifier les liens existant dans l’écosystème pour créer de la reconnaissance entre acteurs. Notre groupe de travail a réfléchi sur les facteurs facilitant la collaboration, pour finalement en reconnaître l’ambivalence (ex. du sentiment d’appartenance, du mode projet, du fonctionnement par opportunités mais aussi de l’institutionnalisation des pratiques…). Le défi consiste à faire vivre une communauté qui ne soit pas donnée d’emblée (communautarisme), mais qui crée du commun précisément par le rassemblement des différences qui la constituent[1]. Cela pose des enjeux d’animation, l’art de gérer différentes temporalités et priorités, stratégiques comme opérationnelles, devenant une compétence clé de la figure d’”innovateur”. Comme l’inclusion, le changement ne se décrète pas mais se crée par émergence “avec” et “entre”. Comment “faire terreau” et maintenir vivantes des initiatives, sans les calcifier ? Cela repose sur des outils mais aussi des postures, et des temps pour la discussion, critique comme conviviale.

–       L’État : aura [ou] absence ?

Cet axe interroge les tensions entre gouvernance en réseau et centralisation. Comment l’État peut-il jouer un double rôle, supportant à la fois des initiatives créatives divergentes et permettant leur passage à l’échelle ? De son expérience en politique, Christian Paul retient que les enjeux du pouvoir ne sont pas toujours compatibles avec les priorités de l’intérêt général. Alors que le service public est aujourd’hui sujet à un large intérêt, il lui faut s’adapter pour mieux permettre l’expérimentation. C’est tout l’objet de cette chaire que de documenter les initiatives, pour pouvoir les amplifier, accélérer, dupliquer… et ainsi consolider un écosystème d’innovation au service d’une meilleure justice sociale et environnementale.

Et maintenant ?

Début 2023 est attendu un premier rapport de cette recherche action. Il sera intéressant d’étudier les rôles du design et des designers dans les initiatives documentées. D’autant plus que la chaire coopère notamment avec la Public Factory de Sciences Po Lyon, plateforme d’innovation mobilisant des étudiants (dont 15 Stratos en 3e année) sur des projets portés par des acteurs confrontés à une problématique d’intérêt général irrésolue ou en défrichage. Il y a donc là un premier terrain d’expérimentation et de partage, tant pour la recherche interdisciplinaire que la pédagogie. Rendez-vous dans quelques mois pour découvrir les résultats de cette session.

[1] Ce que Tim Ingold appelle commoning, acte de donner à la communauté ce que chacun a de singulier. Dans cette perspective, les notions de mise en commun et de variation sont solidaires, nous permettant d’entrer en correspondances mutuellement enrichissantes (voir Ingold, T. L’anthropologie comme éducation. 2018).

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