La co-conception entre la recherche et la pratique

Le 30 mars 2022, une journée d’étude interdisciplinaire i3 intitulée “Le citoyen-usager* dans la co-conception urbaine”, a été organisée par Carole-Anne Tisserand et Aliénor Morvan, doctorantes CSI – Mines Paristech et SES – Telecom Paris.

Réunissant chercheuses et chercheurs dans plusieurs disciplines (ergonomie, sociologie, sciences politiques, ingénierie architecturale) avec des praticiennes et praticiens (designers, architectes) et autres professionnels qui œuvrent au quotidien avec et pour les personnes concernées par les projets urbains. L’objectif était de croiser les expertises entre pratique et recherche pour répondre à trois questions relatives à la co-conception : pourquoi co-convevoir ? avec qui ? et comment ?

La première partie de la journée a donc été consacrée à la définition des conditions permettant de parler de co-conception et d’esquisser la figure du co-concepteur qu’il est identifié dans les discours (académiques, politiques et professionnels).

Un panorama historique du concept de participation, présenté par Jean-Marie Burkhardt, a permis de comprendre la genèse et l’évolution de la co-conception et d’avoir un référentiel commun. Dans un premier temps, il était question de participatory design avec les pionniers scandinaves dès les années 1970 dont le moteur était principalement politique avec pour ambition de mettre en place un processus démocratique qui garantit la participation de tout le monde. Ensuite pendant les années 80 et 90, la co-conception avait une dimension plus fonctionnelle (notamment en ergonomie et en informatique). Ce n’est qu’en fin des années 90 et début des années 2000 que le sens de la co-conception revêt un sens plus complexe mélant les deux approches politique et fonctionnel. En effet, on parlait alors d’un processus social qui implique un apprentissage mutuel en raison d’une asymétrie de connaissances (une connaissance technique des experts et une expertise sensible des usagers basée sur leur vécu). Ainsi, répondant à un besoin social, et consistant en un travail conjoint de plusieurs expertises avec un but partagé, la co-conception est considérée comme un facteur de succès du projet.  

Le user-centered design se distingue du participatory design par le degré d’implication des usagers dans la co-conception. Dans le premier cas, on parle d’utilisateur informateur ou évaluateur puisqu’il n’est impliqué qua dans certaines phases, et dans le second, il s’agit d’un usager qui participe à toutes les étapes. En effet, plus l’usager est impliqué, plus il y a besoin d’outils et de temps mais meilleures sont l’acceptabilité et l’appropriation. Le but ultime du processus de co-conception est de créer un collectif, pour un apprentissage mutuel et un co-développement.

Hadrien Macq affirme que la participation implique de trouver l’équilibre entre les tensions entre les publics et les objectifs du projet et les frictions entre l’universel et le particulier. A travers des exemples d’initiatives dans différentes villes belges, il observe comment des sites d’innovations participatives (tel que les tiers-lieux) se constituent comme « espaces de réarticulation de la relation biopolitique entre le citoyen et l’état ». Ainsi, pour repenser le principe de co-conception, il faut sortir du fantasme d’une créativité émanant obligatoirement du citoyen et que le simple fait de créer des collectifs engendre une vraie collaboration. Il invite donc à reconsidérer la tension persistante entre l’innovation sociale et l’innovation technologique en commençant par remettre en question le terme d’innovation.

La table ronde a permis de rappeler les dilemmes de la co-conception. Du côté des professionnels, ne pas pouvoir faire sans mais ne pas savoir faire avec les usagers. Du côté des usagers, la persistance d’un mésusage (et parfois d’un non-usage) des politiques publiques. Et du côté des collectivités territoriales, une méconnaissance des publics sur le plan sociologique. Les différentes approches de co-conception entendent faire face à ces trois aspects dysfonctionnels entre les acteurs du projet urbain. Au niveau des typologies des usagers à impliquer, cela dépend de l’objectif et des motivations des deux parties (l’usager-expert sera impliqué parce qu’il a des motivations utilitaires et d’autoformation, par exemple). Néanmoins, étant donné que la question de rentabilité économique de l’implication des usagers reste en suspens, il s’agit de continuer à acculturer les acteurs de l’immobilier pour engager un vrai changement culturel au niveau des institutions et passer du pourquoi au comment. Sans cela, la co-conception continue a être perçue comme une stratégie d’achat du consentement ou un luxe dans le cadre d’expérimentations et de recherche-action sans impératifs économiques.

Privilégiant les termes participation et co-conception (largement plus présents dans les discussions que celui de co-design), la matinée était consacrée à en déterminer les motivations (autant du côté des concepteurs, des citoyens ou des commanditaires des projets) et à esquisser la figure du citoyen-usager impliqué, la deuxième partie de la journée abordait les différentes manières avec lesquelles peut s’organiser la co-conception.

Selon les travaux de recherche menés par Catherine Elsen et Clémentine Schelings, il n’y a pas de protocole de participation parfait. Organiser la participation équivaut à mitiger les risques et prendre en considération la maturité de l’institution qui dépend de la fréquence et de la durée des ateliers participatifs qui ont déjà été mis en place. Il est nécessaire aussi de sortir de l’utopie d’une représentativité parfaite et engagée de l’usager « citoyen ambassadeur ». D’ailleurs, la corrélation entre la maturité des institutions et la satisfaction des participants ne représente pas une courbe progressive et dépend aussi des professionnels de la participation. En somme du point de vue de la recherche, il s’agit de faire un arbitrage entre une certaine flexibilité du protocole et sa validité mesurée par la reproductibilité.

Parallèlement, les travaux de Stéphane Safin, Aliénor Morvan et Benjamin Loiseau, s’intéressent à l’exploration des modalités de co-conception du point de vue des outils utilisés. L’enjeu est d’améliorer la capacité de représentation par les participants, considérée comme le cœur de la conception et le moyen de faire co-évoluer une problématique. Différentes expérimentations avec des outils de représentation plus ou moins complexes (toolkit, matériauthèque, système de représentation en 3D) ont été réalisées. L’objectif est d’engager les usagers dans la conception en leur donnant des moyens efficaces d’expression tangible, le post-it étant considéré comme limitant car il maintient le dialogue à un haut niveau d’abstraction. Ensuite, faire des aller-retours entre les différents outils permet de passer d’une exploration globale du sujet (circulations, services requis) puis de l’affiner progressivement (jusqu’au choix des matériaux par exemple). Malgré des résultats très encourageants, l’impact de ces expérimentations sur le travail réel des professionnels est encore en question.

Avec Patrick Bouchain, c’était l’occasion de découvrir ses motivations de faire des projets où le temporaire est une valeur forte et un outil de démonstration qu’une « écologie du déjà là » est possible, par l’élargissement du champ disciplinaire de l’architecture et la remise en question du processus d’évaluation des projets. Son approche mutliscalaire du projet La preuve par 7 permet de mettre en lumière les différences d’application de loi selon l’échelle. Il est alors possible d’agir sur les failles du système juridique et le questionner en créant des jurisprudences par l’expérimentation in vivo. Le récit tel qu’il est présenté par Patrick Bouchain devient un élément primordial du projet co-construit.

En conclusion, bien que l’absence des usagers à ce débat ait été relevée, selon les différents intervenants, la co-conception doit être considérée comme un objectif démocratique et non simplement comme un outil de résolution de problèmes d’aménagement. En effet, elle participe amplement à la raison d’être du projet, aide à la compréhension fine des contextes sociaux, environnementaux et juridiques, et augmente l’impact en réduisant le silotage des métiers et expertises. De notre côté, il semple que des précisions sémantiques sont à faire pour délimiter les différences entre participation (incluant parfois la concertation) et co-conception (utilisé souvent indifféremment avec co-design) et prévenir certains risques de mésusage des pratiques de collaboration et d’intégration des citoyens pour une fabrique du consentement.

Cette journée riche en apprentissage a donné lieu à un podcast disponible sur la web-radio Commune Mesure. Retrouvez le intégralement ici pour revivre les échanges et en savourer chaque syllabe.

* nous choisissons de garder la forme masculine des termes usager et co-concepteur, tel qu’utilisé par les organisatrices, mais nous soulignons que cela renvoie à la fois aux hommes et aux femmes.

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