Créativité & travail (et un peu de design dans tout ça)

Qu’entend-on par créativité au travail aujourd’hui ? Pour les industries culturelles et créatives, elle constitue le cœur même de l’activité. Pour l’entreprise hors du champ culturel, elle est de plus en plus sollicitée pour ré-enchanter le monde professionnel et tenter d’atténuer ses impacts négatifs sur l’individu. On y constate une rhétorique de séduction et une logique de captation issues du monde artistique dans l’appropriation de termes tels que créativité, talent, artiste, génie… La créativité serait-elle la réponse à la crise que traversent les sociétés et le monde du travail ?

J’ai été ravie de présenter un point de vue « de designer » à la 2e séance du séminaire Travail & créativité organisé par le Labex ICCA (1) à la MSH Paris Nord (2).

Avec nos collègues des SIC et des sciences de gestion, autant pétris d’interdisciplinarité que les designers, nous avons discuté des méthodes et valeurs portées par la créativité. Surtout de leur difficile transfert dans les routines organisationnelles. L’intervention par exemple du design thinking vise à redonner une voix à l’usager er à révéler une part de créativité latente en entreprise (3). Mais comment capitaliser sur l’énergie du moment et la transformer en « livrables » ? Au-delà de tout contenu, la dynamique collective créée est essentielle (4). Quant au designer, je crois qu’il peut jouer un triple rôle :

  • de tradution. Le designer reste un « généraliste au service de spécialistes », capable de s’adapter et de médier les langages des autres
  • de mise en forme. La dimension esthétique de son expertise lui permet d’incarner les idées, de créer des outils et représentations tangibles
  • de ralentissement. Avec son regard distancié, le designer cherche à maintenir des ouvertures dans le projet.

D’où la nécessité de faire évoluer les critères de jugement des projets, au-delà de résultats opérationnels court-termistes (5).

Le modèle des communautés de développeurs, où la régulation pair à pair laisse une place à la controverse dans la construction d’expertise, pourrait offrir un modèle inspirant (6).

Nous ressortons de cette discussion beaucoup de matière à penser, mais convergeant sur un point : la créativité n’est qu’une première étape vers la transformation impactant structures, process et cultures d’entreprises. Il ne s’agit pas seulement de voir les choses autrement (créativité) mais d’engager une éthique dans la durée : c’est ainsi que s’incarne l’ « hétéronomie critique » du designer (d’après cette formule de Marie-Haude Caraës que j’aime beaucoup).

Merci à l’équipe organisatrice du séminaire (en particulier Yanita Andonova, LabSIC, Univ. Paris 13), et aux collègues participants à ces échanges. RDV le 17 mars pour les poursuivre.

(1) Industries Culturelles et Création Artistique, Univ. Paris 13

(2) Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord

(3) Mario Le Glatin, Mines ParisTech

(4) Edouard Le Maréchal, CréaFrance

(5) Emmanuelle Savignac, CERLIS, Univ. Paris 3

(6) Paris Chrysos, Mines ParisTech

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