Table ronde « Recherche en design à l’international », un abécédaire sélectif

Le 1e février, les étudiant.e.s du Master Design, Arts, Médias (univ. Paris 1) et leur professeure Catherine Chomarat-Ruiz consacraient une séance de leur séminaire à la place de la recherche en design française au sein des communautés internationales. Chaque intervenant.e a présenté son retour d’expérience, pour engager les jeunes chercheur.e.s de demain à s’y rendre plus présent.e.s.

Estelle Berger (Strate Research) a commencé par présenter les réseaux DRS (Design Research Society) et IASDR (International Association of Societies of Design Research) : qui sont ces communautés, quels sont leurs codes, pourquoi soumettre son travail et qu’attendre d’une conférence ? Brigitte Borja de Mozota est ensuite revenue sur son parcours de pionnière. Alors que le design n’était institué ni comme objet ni comme sujet de recherche en France, c’est grâce à des appuis internationaux qu’elle a réussi à faire reconnaître l’intérêt d’un travail académique sur la création de valeur. Armand Béhar (Ensci), quant à lui, s’est questionné sur les formats d’échange entre tendances internationales et inscription française de la recherche. L’occasion de discuter de la fertilité des dialogues interculturels, mais aussi des difficultés et subtilités de la traduction. Enfin, Béatrice Gisclard (Unîmes) a présenté les communautés EAD (European Academy of Design) et ARD (Ateliers de la Recherche en Design), ainsi qu’une sélection de journaux internationaux couvrant les différents champs de pratique du design, comme ses théories et son enseignement. 

Le délicat exercice de la synthèse des échanges reviendra aux étudiant.e.s (à paraître dans la revue Design, Arts, Médias). Quant à moi, j’ai choisi le format de l’abécédaire pour revenir sur les mots clés qui ont circulé autour de la table (presque) ronde : 

#commun(s) Être chercheur.se, c’est converser avec la communauté, participer à un mouvement commun de création de connaissances. En ligne avec la Gestalt, toute production personnelle engage le Tout – qui, réciproquement, se rejoue dans chaque occurrence (projet, thèse…). Voir #responsabilité #traduction

#décolonisation L’enjeu de « décoloniser le design » de son histoire liée à la Modernité est de plus en plus discuté dans les communautés de recherche internationales. Mais malgré cette volonté d’ouvrir le champ, trop peu d’acteurs issus des Suds y sont encore présents… Comment pourrait-on développer un dialogue qui n’exclue pas d’emblée ceux.celles qui ne partagent pas les codes et normes établis ? Voir #traduction #commun(s)

#faire Au sein de collaborations interdisciplinaires, les designers sont souvent appelé.e.s comme expert.e.s du passage à l’action et à la matérialisation. Même en recherche, cela reste notre valeur ajoutée reconnue – parfois notre manière de « mettre le pied dans la porte » pour se saisir des sujets de société et entrer dans les débats. Nos moyens d’expression peuvent répondre aux exigences de la recherche, à condition de les manier avec recul critique. Voir #traduction #pratique réflexive #singularité

#humilité Il est capital de maintenir une posture d’ouverture et d’échange, notamment face aux normes et codes des communautés de recherche (dont la langue anglaise…). Ils sont nécessaires pour le partage, car la construction scientifique est celle de consensus. Néanmoins, la méthode ne fait pas le.a chercheur.e, et chaque outil (théorique comme pratique) doit être mis en perspective de manière critique. Voir #commun(s) #légitimité #pratique réflexive #singularité #traduction 

#légitimité Les publications scientifiques sont souvent évaluées en termes d’impact quantifié. Les index sont à prendre avec précaution, car souvent développés par des firmes avec des enjeux commerciaux. L’évaluation qualitative, elle, est bien plus complexe et pour partie subjective. Dans tous les cas, seule une combinaison d’indicateurs de différents types est gage de réelle légitimité. En outre, la recherche en design est intrinsèquement constructiviste, visant à créer des connaissances utiles sur le terrain. Voir #décolonisation #pédagogie #projet

#pédagogie Recherche et pédagogie sont reliées par un cercle vertueux, devant toutes deux ambitionner d’être utiles à la profession et à la société. Il est de la responsabilité des écoles de design de briser les silos et les plafonds de verre auxquels se heurtent encore les designers. Voir #responsabilité #pratique réflexive

#pratique réflexive Une communication n’est pas un label ou une simple ligne sur son CV académique ! Il s’agit de proposer à la communauté quelque chose qui s’inscrive dans un mouvement de partage de connaissances et d’expériences – y compris des points de doute, questionnements ou limites… À la différence d’un article de journal, fixé et autoporteur, c’est plutôt un jalon dans un processus de recherche « vivante ». L’espace-temps d’une conférence est donc l’occasion de recueillir des retours sur : un cadre de références, des méthodes, des outils / une étude ou analyse, une proposition conceptuelle / des expérimentations pratiques, des tests, une implémentation de projet… Voir #commun(s) #faire #pédagogie #projet

#projet C’est le grand paradigme actuel (recherche-projet, mais aussi recherche comme projet…), avec les écueils que Boltanski & Thévenot identifiaient déjà à ce mode d’activité humaine. Quels déplacements, quelles alternatives envisager, pour (re)placer le design où il devrait être en société afin de jouer son rôle dans les nécessaires transitions ? Voir #commun(s) #faire #responsabilité

#responsabilité Échelle individuelle et collective sont entrelacées : il ne s’agit pas de rester dans son coin en attendant que les autres viennent à soi. Face à un sujet nouveau, pour créer de la connaissance, le.a chercheur.e a la responsabilité de créer et porter la conversation. Nous sommes aussi responsables de la manière dont notre champ est perçu par les autres : la science doit agir contre les récupérations et dévoiements. Voir #décolonisation #traduction

#sérendipité S’immerger dans une communauté de recherche comporte une part d’utilitarisme (montée en compétences) comme de sérendipité (au gré des rencontres, découvertes…). Être pairs n’implique pas de s’inscrire dans les mêmes courants de pensée. Il est donc important pour les jeunes chercheur.e.s d’apprendre à se repérer au sein d’un éventail très large – en développant culture théorique et esprit critique, pour savoir replacer les discours dans leur contexte et les mettre en perspective. Voir #commun(s) #légitimité #pratique réflexive

# singularité Quelles inscriptions particulières la France aurait-elle à porter à l’international ? Notre riche tradition de pensée, nos formes sociales, mais aussi nos émergences constituent un socle de valeur pour une recherche « à la française » – dont le principal défi reste surtout de se mettre en discussion avec la communauté internationale. Voir #humilité #traduction 

#traduction La recherche est organique, elle se diffuse et s’enrichit par des formats d’échange et de dialogue, notamment interculturel. Il est toujours constructif de prendre conscience et déconstruire nos schémas hérités, pour s’ouvrir à d’autres manières de comprendre et de faire. Mais comment éviter le risque d’appauvrissement qui va de pair avec un processus de traduction ? Question stimulante pour la recherche en design et sa palette de moyens d’expression « autres ». Voir #décolonisation #faire #humilité #singularité

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