Journée Ethics by Design

Co-organisée par la FLUPA et Designers éthiques, la journée Ethics by Design s’est tenue le 12 mai à l’ENS de Lyon.

En ouverture, Hubert Guillaud (FING) invite à distinguer économie [1], écologie [2] et éthique [3] de l’attention. Le problème actuel est la captologie, nouvelle forme de contrôle social qui exploite nos biais cognitifs et comportementaux (voir Kahneman et l’économie comportementale). A la suite de Tristan Harris, le travail éthique devrait s’inscrire dans la conception même, et ne pas se limiter aux tactiques personnelles.

Pour James Williams (Univ. Oxford) [4] également, l’éthique de l’attention représente un champ d’opportunités pour le design. Dans sa présentation poétique, il plaide pour que les artefacts techniques “ne nous cachent plus la lumière du jour” [5] mais au contraire augmentent notre conscience et capacité de décision. Il propose de renverser l’échelle des besoins humains (Max-Neef) pour mettre à la base nos valeurs et objectifs de vie. Son approche “Nudge for good” dépasse l’utilitarisme pour nous proposer une “étoile pour naviguer nos vies”. Particulièrement intéressante pour moi, la typologie du langage de la persuasion :

Flora Fischer (COSTECH) interroge ensuite d’un point de vue philosophique la médiation technique, marquée par le dilemme de Collingridge [6]. Pour sortir de la fatalité, l’attention éthique du concepteur doit rééquilibrer régulation des intentions (éthique déontologique en amont) avec usages et conséquences (éthique utilitariste en contexte).

L’intervention d’Olly Wright (Emakina Amsterdam) démontre ce double rôle du design, entre observation et influence sur les comportements. Au service des entreprises et des marques, le designer peut transformer les aspirations éthiques, humaines, soutenables… en résultats concrets. Il agit sur les produits et services (impactant les comportements des usagers), les process (impactant les routines d’entreprise), et jusqu’aux business models (impactant la création de valeur, pour l’aligner avec les valeurs affichées).

Pour expérimenter ces modèles théoriques, des workshops rythment la journée. En conclusion, nous retenons différents besoins pour outiller le travail quotidien des designers. Les labels, manifestes, chartes de bonnes pratiques sont utiles pour communiquer en société mais renvoient le public à un rôle passif. Les outils pratiques, objets critiques et/ou intermédiaires par exemple, ne limitent pas l’éthique à une dimension technique de l’usage des données. Ils sont plus holistiques, à même de questionner, sensibiliser et responsabiliser chacun. Puisque la liberté humaine commence avec la conscience (Mill), c’est ce que doit viser un design “éthique”.

Les rôles joués par les designers doivent alors échapper au piège de la moralisation ou de la normalisation. Plus modestement, comment peut-on favoriser les choix éclairés ? Quelques pistes de synthèse personnelle que je soumets ici à discussion :

  • documenter (ouvrir l’accès aux “boîtes noires” de Foucault)
  • préserver la diversité des usages possibles (jusqu’à la liberté du non-usage)
  • voir loin et à côté (tenter d’anticiper des effets inattendus, sans lisser l’équivoque)
  • rendre visibles ces alternatives (rôle de pédagogue pour apprendre à regarder “la Lune” plutôt que “le doigt” !)
  • le cas échéant, en dernier recours, jouer le rôle de lanceur d’alerte.

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[1] Elle n’est pas née avec le numérique (dès Simon, 1969) mais celui-ci l’amplifie. James Williams note que les cycles d’innovation trop rapides ne nous laissent pas le temps d’apprendre à développer des compétences pour les pratiquer.

[2] Trouver des modalités pour vivre (Citton)

[3] Critique morale qui renvoie les utilisateurs à leur responsabilité (Crawford) ou les considère comme victimes (Harris, Schüll). Ce paradoxe crée des pathologies de l’attention (projet de design fiction de Girardin), où nous oscillons entre compulsion et anxiété. Fantasme ultime de la déconnexion, ou encore plus de technologie pour réguler notre addiction ? On est en plein dans la dimension pharmacologique de la technique, à la fois poison et remède (voir Stiegler).

[4] Co-créateur justement avec Tristan Harris de Time well spent

[5] Analogie au mythe de Diogène : Alexandre le Grand voulant exaucer son vœu le plus cher s’entend répondre “Ôte-toi de mon Soleil !”. C’est pour Williams ce que nous font les technologies.

[6] Impossible de savoir a priori ce que les innovations technologiques feront à nos vies, mais une fois que nous le saurons il sera trop tard pour revenir en arrière.

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