Innovation sociale et design, conversation par RESICITY

Dans le cadre de France Design Week, le 26 septembre dernier, l’association RESICITY a rassemblé différentes personnes associées à des projets ayant pour but de servir l’intérêt général pour échanger sur leurs pratiques. L’évènement forme d’une conversation avait pour thème « innovation sociale et design » et s’est déroulé dans le cadre convivial de la maison de la conversation. J’ai eu alors le plaisir de participer à un des cercles qui traitait de design et de politiques publiques (merci Laure Ancel pour l’invitation !) pour témoigner des enseignement de l’étude menée sur la formation Design Actions Publiques. À ce propos, un article co-écrit avec Jonathan Denuit est paru dans le n°17 Designs urbains et Territoires de la revue Sciences du Design.

Lors de cette soirée, quatre grandes questions ont été abordée :

  1. Quelles postures, rôles et outils des différentes parties prenantes de l’innovation sociale (entre collectivités, organisations et citoyen·ne·s) ?
  2. Quelle place pour le vivant dans des pratiques d’innovation centrée utilisateur (celui-ci étant quasi exclusivement un humain) ?
  3. De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de co-développement ou de co-design dans l’innovation sociale ? Quelles pratiques d’inclusion et de participation des parties prenantes ?
  4. Quelle place pour le design dans les politiques publiques pour améliorer vraiment la vie des bénéficiaires ? Quelles en sont les limites ?

Pour l’innovation sociale considérée comme voisine de la transformation publique, il s’agit le plus souvent de processus où la coopération est volontaire entre les différents types d’acteurs, notamment avec le tissu associatif. Le recours aux approches par le design est avant tout pour rendre visible à la fois les frottements et les convergences. On a pu alors entendre qu’un des apports les plus importants du design pour l’innovation sociale c’est de pouvoir « tester vite pour échouer rapidement ». Le design permet alors deux choses essentielles : représenter les choses et pour mieux se comprendre, converser, débattre et pour aller vers un compromis ou un accord ; et rendre compte de l’expérience sensible des gens par la mise en récit et la matérialisation de la valeur qui se crée entre les différents acteurs.

Le témoignage de Nicolas Roesch a particulièrement retenu mon attention car il invite, à travers le travail du collectif Zoepolis, à repenser notre place en tant qu’humain. En effet, il a rappelé que ceux qui font l’habitabilité du monde (que le design est censé améliorer selon la formule célèbre d’Alain Findeli), ce sont surtout les plantes, pour leur action sur la nourriture des espèces et la qualité de l’air qu’on respire, les polinisateurs, pour leur action sur la multiplication de ces plantes, et les vers, pour leur action sur sol nécessaire pour accueillir toutes ces activités vitales. De ce fait, considérant le design comme sculpture sociale (en référence à la pensée de Bernard Stiegler), il envisage un nouveau design comme sculpture bio-sociale, un design avec le vivant. Son propos était en résonnance avec l’exemple du collectif Commune nature qui oeuvre à construire une approche du design post-biomimétisme.  

Concernant les limites de la méthode, il a été rappelé par Yoan Ollivier, co fondateur de l’agence Vraiment Vraiment que, dans l’innovation sociale le plus important c’est la réaction des personnes impliquées. Il faut donc privilégier des stratégies comme l’effectuation, et s’autoriser à inventer une méthode spécifique pour chaque projet. Dans le cadre de projets de design des politiques publiques et particulièrement pendant la formation Design Actions Publiques (que j’ai eu l’occasion de documenter dans cet article), les limites de la méthode concernent aussi le suivi et le budget alloué aux projets. Comme en a témoigné Isabel Yus, une agente de collectivité, ancienne apprenante dans ce programme, il faut arriver au bon moment et être face aux bonnes personnes qui peuvent et veulent soutenir le projet et voter les budgets. Encore plus, « parfois il faut aussi agir sur le cadre », disait Julien Baron, chercheur et consultant chez Ellyx.

Dans l’innovation sociale et publique, la question de la temporalité est donc primordiale. Les praticiens et praticiennes qui ont témoigné ont insisté sur la nécessité de renoncer à aller vite ou à proposer forcément des solutions avec du numérique (qui donne cette impression de pouvoir déployer une solution presque immédiatement). Avec un exemple d’un projet où les récit des concerné·e·s sont diffusés tout au long du projet et sur différents canaux (transmédia), montre comment la création de valeur est associée à la possibilité et capacité à faire de l’essaimage. Là aussi il est très souvent question de temps long.

Finalement, on repart de cette soirée avec une bonne dose d’optimisme et d’envie d’agir. Les différentes conversations ont permis d’entrevoir des initiatives qui font figurer (et donc qui font exister dès aujourd’hui) un avenir plus juste entre humains mais aussi avec les autres vivants (j’ai entendu l’idée de penser à une « biodiversité administrative »). Dans cette mission, les designers ont un rôle important à jouer, mais à condition de s’appuyer sur le travail des collectifs en lutte, et loin de la posture de l’expertise, de mettre en avant les compétences de facilitation et de médiation pour accompagner les transitions.

Le sujet vous intéresse et vous regrettez d’avoir raté ça ? Les membres de RESICITY ont pensé à tout ! Vous pouvez réécouter la conversation et/ou lire la retranscription ici.

Photos par RESICITY