
Cette conférence annuelle s’appuie sur la communauté de design systémique SDA, fondée en Norvège en 2012. Elle associe pensée systémique et moyens du design pour adresser des problématiques complexes à portée sociale. Retour à Oslo pour la treizième édition, accueillie par la Oslo School of Architecture and Design (AHO).
Participant pour la première fois, j’ai apprécié le mélange entre académiques et praticien.ne.s, notamment dans les services publics. Organisé en single track, l’événement était à taille humaine, avec une ligne cohérente et beaucoup de résonance entre les approches. Les systèmes sont adressés de manière plutôt holistique, avec beaucoup d’attention à ne pas céder à la tentation de tout modéliser. L’orientation est donc plutôt soft, avec des visées pas seulement analytiques ou descriptives mais transformatrices. S’il y a eu peu de grandes envolées philosophiques ou épistémologiques, c’est par la question des théories du changement que l’éthique du design a été abordée.
Formaliser sa théorie du changement, c’est expliciter les intentions, principes de travail, moyens d’actions et impacts attendus pour l’intervention de design – en toute reconnaissance de la part d’imprévisibilité qui résiste. Cela permet de guider la pratique, mais aussi de l’évaluer, de la discuter et de l’adapter en fonction du contexte et des personnes impliquées. Bien sûr, différentes théories peuvent se combiner, se succéder, se repositionner… Voir les intervenant.e.s faire l’exercice m’a inspirée à le transposer dans nos différents projets, en particulier ceux nécessitant de mobiliser voire aligner des parties prenantes hétérogènes.
Zoom sur quelques modèles qui m’ont intéressée :

D’abord, la notion de cycle adaptatif (Gundeerson & Holling, 2002) montre le parcours de la création/innovation à sa transformation en quelque chose d’autre. La panarchie montre l’imbrication de tels cycles à différentes échelle. Les représenter permet de mieux comprendre les dynamiques de changement : émergence, mais aussi réaction de rejet, poids du souvenir…

Le modèle des 3 horizons (Wahl, 2017) est utile pour la projection stratégique dans une transition : qu’est-ce qu’on quitte (H1), au profit de quelle nouvelle vision (H3) ? Mais aussi avec quelles « béquilles » temporaires (H2) ?

Dans une portée plus large, ce schéma de l’insoutenable au régénératif (Reed, 2007) est intéressant pour se questionner par rapport à la notion de « soutenabilité ». Qu’on la considère dans son acception faible ou forte, on explicite trop rarement ce qui doit être soutenu/maintenu : des attachements non négociables, des détachements encore impensés…
Enfin, cette typologie montre qu’un changement de paradigme (Chandler, 2018) représente de nouvelles postures face à l’incertitude et l’inconfort. Au-delà de la modélisation et de l’anticipation rationnelle des conséquences possibles, il s’agit de prendre conscience qu’on est engagé et qu’on participe à un certain type de monde, sciemment ou non. C’est l’irruption du politique !
Des métaphores sont également revenues tout au long de la conférence, potentiellement inspirantes en termes d’accompagnement des transitions :

La fractale, pour revoir les relations entre « le tout » et « les parties », les interconnections et la diversité comme facteur de résilience globale.

La rivière qui s’écoule, pour repenser les causes et les effets : c’est moins la prédiction qui est à viser que la mise en place d’environnements apprenants.

La conversation comme mode d’action. Elle s’écarte du « mode projet » pour ouvrir un autre type d’espace de transformation, plus distribué et émergent (oeuvre de Marjetica Potrč, The Time of Humans on the Soča River, 2021).
Mon seul petit regret porte sur les projets présentés, qui faisaient assez peu de place aux retours d’expérience critiques. Au-delà des intentions et des méthodes déployées, j’aurais aimé moins de réserve sur les difficultés rencontrées, notamment autour des enjeux de pouvoir. À mes yeux, la configuration et l’atmosphère chaleureuse de la conférence s’y seraient parfaitement prêtées – mais c’est une perspective française, peut-être un peu directe par rapport à la culture scandinave !
Quoi qu’il en soit, j’invite les chercheur.e.s et designers exerçant en complexité à suivre les actualités de cette communauté riche et active : des actes à paraître vers la prochaine édition de la conférence à l’automne 2025.