P/references of Design – Cumulus Budapest 2024

Du 15 au 17 mai derniers, s’est tenue la conférence Cumulus qui rassemble deux fois par an les écoles d’art et de design du monde. La thématique de cette édition organisée par l’Université MOME à Budapest était : P/References of design

9 sessions thématiques ont rythmé les 3 jours entre conférences et workshops : 

  • Converging bodies of Knowledge
  • Centers and peripheries
  • Redefining data boundaries
  • Bridging design and economics 
  • The power of immersion
  • Speculative perspectives
  • The future of well-being 
  • Taming entropy : systems design for climate and change
  • Ways of living toghether

Accompagnant nos incroyables responsables des relations internationales Costanza Marinelli et Charlotte Guedin, l’équipe de recherche était présente et a présenté des travaux en cours sur 2 thématiques. 

Paul Laborde a présenté un article “The designer’s standpoint: feminist epistemologies and agnotology as a roadmap for supporting writing practice in design” dans la session Converging bodies of knowledge. L’objectif de l’article est de s’appuyer sur les épistémologies du point de vue pour valoriser les connaissances issues des projets de design : faire advenir la perspective de celles et ceux qui subissent une situation problématique permet de mettre en lumière le savoir spécifique qui y est attaché. Par ailleurs, l’agnotologie offre un horizon original pour des praticiens à cheval entre science et art : il s’agit d’abandonner la conception spontanée de l’ignorance comme absence de connaissance pour la comprendre comme une fonction inévitable du regard que l’on porte sur une situation. Enfin, tout ceci nous conduit à défendre une pratique de l’écriture au sein des projets de design pour articuler ces différents regards au moment de la conception. 

Et dans la session Taming entropy : systems design for climate and change, il y a eu deux contributions : 

Dans une première demi journée consacrée à l’enseignement du design pour demain, j’ai pu présenter mon article “Sustainability by design : cross-curricular programme for design students”. Ce travail rend compte d’une recherche en cours sur la manière dont on pourrait construire un programme transversal consacré à l’écologie au cœur du cursus Design en 5 ans à Strate. Répondant aux recommandations de chercheurs et experts des instances extra gouvernementales, ainsi qu’aux incitations et impératifs spécifiques du MESR, le but premier de ce programme est de garantir aux étudiants en design un socle de connaissances commun sur les enjeux de transitions (environnementaux, sociaux, politiques…). Cela conduirait à faire de l’écologie la colonne vertébrale du design process et non une des dimensions à traiter dans le projet.   

Dans cette session j’ai pu d’ailleurs découvrir le travail passionnant d’Alessandro Pollini et Gian Andrea Giacobone sur l’engagement des designers vers la soutenabilité grâce à une méthodologie de d’apprentissage du design basée sur le défi “design challenge-based learning(Blevis, 2010). Lors de plusieurs ateliers “climate care workshops”, ils ont abordé la soutenabilité en partant de la problématique de l’accessibilité des informations, considérée comme levier de transformation des habitudes. Allant de la prise de conscience, à l’encapacitation puis la co-existence sociale, ils ont montré comment nous devons considérer à la fois une soutenabilité en design et une soutenabilité par le design. 

Parallèlement, avec Estelle Berger, nous avons contribué à la session posters avec le poster “Training strategic transition designers: action modes and scales, skills and postures”. Ce travail prend pour point de départ les trois façons envisagées par le GIEC de concevoir l’intervention humaine pour lutter contre la crise climatique : l’atténuation, l’adaptation et la résilience, pour penser les échelles et moyens d’actions des designers stratèges des transitions. Cette première théorisation constitue les fondements pédagogiques de la nouvelle formation Design Transition[s] que nous co-dirigeons. 

Malgré la diversité des interventions, le point de convergence des conférences était le questionnement des pratiques de design par rapport à son impact à différentes échelles. La posture critique transparaissait alors comme fil rouge qui doit guider la manière dont nous faisons évoluer le métier de designer et son enseignement. Non pas seulement en améliorant les constats et diagnostics de ce qui dysfonctionne, mais aussi en fournissant les conditions favorables pour expérimenter de nouvelles approches notamment au niveau des matériaux (à voir : le travail de Sofia Soledad Duarte Poblete, designer et chercheuse à Politecnico di Milano), et enfin surtout pour travailler sur le positionnement et l’état d’esprit avec lesquels les designers doivent agir avec les concerné·e·s. 

Nous sommes reparties de là avec deux coups de cœur pour deux approches des systèmes et du rôle du design : 

Eric Zimmerman, Game designer et professeur au NYU Game Center, aborde le design du point de vue du jeu qu’il permet. Selon lui, le design a quelque chose de proche de la notion de littératie car il permet de produire et comprendre le sens des choses. Il a insisté sur le fait que pratiquer le design c’est jouer avec les systèmes et que cela n’est possible que parce que les systèmes (et les règles) existent. D’ailleurs, nous avons pu expérimenter lors d’un workshop avec lui comment questionner et remodeler les règles d’un système sans forcément en changer la structure (en l’occurrence l’exemple était celui du fameux jeu très simple “pierre, feuille, ciseau”). 

La conférence “New Extractivism” de Vladan Joler, professeur au New Media department, University of Novi Sad et co-fondateur de SHARE Lab, a fait un effet électrochoc. Il a présenté un travail de plusieurs années d’investigation dans le cadre d’un projet de recherche Anatomy of an IA system pour rendre visible l’impact du développement de certains dispositifs technologiques. Son travail commence avec la même question à chaque fois : où s’arrête un dispositif technologique (youtube, alexa ou n’importe quel objet connecté) ? Le but est de cartographier l’ensemble des systèmes interconnectés nécessaires à l’existence de n’importe quel objet technologique (ressources planétaires + données + travail humain). Avec ce travail, il dénonce l’idée naïve à propos de la transparence parfois associée au numérique en montrant les boîtes noires que constituent les chaînes d’approvisionnement de ces dispositifs. Pour aller plus loin, une vidéo très inspirante qui montre la puissance du design (dans le bon et le mauvais sens) > New Extractivism – Freiraum Festival 2021

Le mot de la fin je le retiens de Daniel Barcza, professeur vice- recteur de la stratégie et de la recherche et directeur adjoint du Centre d’innovation MOME. Il a présenté la vision pour le futur de l’organisation de MOME University en affirmant :

On ne veut pas croître ! Les limites de la croissance, c’est aussi à appliquer aux établissements d’enseignement.

(clin d’œil au rapport Meadows). 

La prochaine édition européenne de Cumulus se déroulera à l’école de design Nantes Atlantique avec le thème “ethical leadership”, l’occasion de poursuivre ces réflexions sur le rôle des designers pour accompagner les transitions.