and our Paper on Future Scenarios and Design for Strategic Redirection

La conférence biennale de la Design Research Society s’est tenue du 24 au 28 juin 2024, accueillie à Boston par un trio d’universités prestigieuses : Northeastern University, Harvard et le MIT. Outre la chance de découvrir ces campus fantastiques, nous avons profité d’une édition de DRS plus foisonnante que jamais. 28 sessions thématiques étaient au programme, articulant communications, workshops et discussions ! Les keynotes n’ont pas été reconnus comme les plus avant-gardistes, contrastant même parfois frontalement avec le contenu des conversations entre pairs : d’une part la perspective de grandes firmes qui considèrent la recherche en design dans un contexte de R&D ; d’autre part beaucoup d’interrogations sur le changement sociétal, et l’équilibre entre engagement et effacement que nos professions doivent accomplir.
Parmi les moments qui m’ont marquée (Estelle talking), un panel avec des acteurs sociaux de Chicago, qui ont mis en lumière de manière vibrante les tensions entre intentions d’inclure et nécessité de réparer les traumas. Les notions de communalité, d’agentivité collective ou d’exnovation semblent bien rejoindre le corpus du design – des designs. Aussi j’ai été surprise d’entendre les Statements of Land Recognition qui ouvraient les sessions : il s’agit de reconnaître que les terres qui nous accueillent étaient la propriété de peuples autochtones Américains spoliés par la civilisation blanche dominante. Ce fil rouge contre-narratif, ainsi que la tonalité de la plupart des discours ne laissent pas de doute : les Etats-Unis sont bien les champions du storytelling !
Pour notre part, nous avons présenté l’article Framing Transitions: Scenarios and Design for the Strategic Redirection of Companies within Planetary Boundaries, co-écrit par Estelle Berger (Strate Research), Pierre-Baptiste Goutagny et Caroline Nowacki (Carbone 4).
Inclus dans une session dédiée au changement systémique, il propose un bilan d’étape de notre engagement dans IF Initiative : un projet de recherche action de 3 ans, piloté par Carbone 4, mobilisant un consortium de 17 entreprises et 8 partenaires académiques pluridisciplinaires. Son ambition est de produire un modèle qui quantifie le stress imposé par les pratiques humaines aux systèmes terrestres (consommation de ressources, émissions de GES, biodiversité), selon 4 scénarios prospectifs co-construits. À terme, il s’agit de fournir de nouveaux outils aux entreprises pour prendre des décisions en incertitude et opérer leur redirection stratégique, dans le respect des limites planétaires. Dans cet ambitieux projet, le design a d’abord été appelé pour ses moyens de tangibilisation. Mais, après un an, nous constatons que nos approches peuvent contribuer plus fondamentalement :
- À inclure des points de vue multiples voire contradictoires
- À connecter les échelles micro, méso et macro
- À discuter de la soutenabilité et souhaitabilité des futurs possibles (design fiction)
- À accompagner la redirection des organisations participantes (design stratégique, transition design)
L’article se focalise ainsi sur la mobilisation du design dans un projet à vocation intégrative, basé sur des données mondiales : quelles complémentarités et tensions entre disciplines ? Quels enjeux pour « atterrir » ? Quels écueils potentiels ?
En effet, les chercheur.e.s en design sont avant tout concerné.e.s par la complexité des expériences vécues, par la spécificité de chaque situation de terrain. Nous ne savons pas approcher les changements sociétaux à venir depuis un point de vue déterritorialisé. Conscient.e.s de la multipolarité du monde et de la part chaotique de tout processus de transformation, nous n’avons pas l’ambition de diriger le processus de modélisation, mais à y maintenir du grain et de la nuance.
En nous adressant à la communauté DRS, nous cherchions à partager nos réflexions plutôt que de supposées bonnes pratiques. Lors de la présentation, des questions ont été posées sur les motivations des organisations à engager un travail de redirection en profondeur, ainsi que sur leur perception des contributions du design.
Ce dernier point fait effectivement l’objet de nos travaux actuels. Pour ajuster notre participation dans le consortium et s’assurer du potentiel transformateur des initiatives déployées, il nous faut évaluer quels éléments sont effectivement à même de sensibiliser et influencer la prise de décision. Nous imaginons ainsi différents facteurs d’impact :
- Stimuler la capacité des dirigeant.e.s à considérer différentes perspectives et échelles en tension (facteur d’apprenance et de résilience selon la théorie des paradoxes)
- Diagnostiquer les conditions pour le changement organisationnel dans chaque entreprise
- Stimuler un sentiment de destin partagé au sein de la communauté apprenante des participant.e.s, qui pourra les amener à constituer des coalitions stratégiques
À tous les niveaux, l’écosystémique et le leadership sont entrelacés, car nous nous attachons avant tout au facteur humain dans un processus participatif et transformateur. Si le modèle quantifié vise à fournir des preuves de l’insoutenabilité des trajectoires actuelles et des éléments d’orientation pour les rediriger, nous le voyons aussi comme un prétexte pour amener les participant.e.s à entrevoir la possibilité d’un changement et l’incarner. Il est nécessaire d’anticiper et de planifier, mais aussi de s’engager émotionnellement et de se relier aux autres… nous sommes convaincu.e.s que c’est un « soft power » de cet ordre que le design peut amener dans des environnements cadrés par les sciences « dures ».