🧓🏻✨ Soutenance de thèse de Nawelle Zaidi 🏠🧓🏻 Des robots sociaux en EHPAD : de l’observation au design des futurs du soin au grand âge

Le 21 mai 2024, Nawelle Zaïdi, ingenieur et designer de formation, notre troisième doctorante de Robotics by Design Lab, a soutenu sa thèse de doctorat en design dans le cadre de l’école doctorale de l’Université Nîmes, laboratoire PROJEKT et co-direction avec Strate Ecole de Design. La thèse s’intitule “Des robots sociaux en EHPAD : de l’observation au design des futurs du soin au grand âge”. La thèse a été soutenue après 3 ans et quelques mois de sa date de démarrage. La soutenance a eu lieu à Strate.

Cette thèse est remarquable à plusieurs égards, tant par la qualité de la recherche que par le nombre d’études et de projets de recherche et design que Nawelle a pu réaliser sur le terrain. Cette thèse CIFRE au sein de Clariane (ex-Korian) a été encadrée en entreprise par trois tuteurs : Aude Letty , Marie-anne Fourrier, et Fabrice Flottes de Pouzols. Aude Letty et respectivement Marie-Anne Fourrier ont dirigé la Fondation Clariane et accompagné Nawelle pour l’insertion du sujet au sein des recherches et études menées sur le vieillissement et l’EHPAD. Fabrice Flottes de Pouzols, étant Directeur de Clariane (Korian) Solutions, l’agence digitale et innovation du groupe, a supervisé l’expérimentation sur le terrain des EHPAD avec plusieurs plateformes robotiques. Vous pouvez voir une partie du terrain de cette thèse dans l’Épisode 1 : Créatures sociales du RbD Lab, le documentaire.

Ensuite, le suivi académique a été pris en charge par PROJEKT, l’unité de recherche de l’Université de Nîmes et Strate Research sous la direction de Stéphane Vial et Thomas Watkin et Ioana Ocnarescu (Strate). Le jury de la soutenance, en plus de l’équipe encadrante, a été composé de :

  • M. Dany Baillargeon, Université de Sherbrooke (Canada), Rapporteur
  • Mme Gentiane Venture , Université de Tokyo, Rapporteure
  • M. Manuel Zacklad, Conservatoire National des Arts et des Métiers, Examinateur et Président
  • M. James AUGER, École Normale Supérieure Paris-Saclay, Examinateur
  • M. Francois de Chalendar, Clariane SE, invité

L’orginalité et les apports de cette thèse

Cette thèse offre une lecture critique et prospective de l’intégration des robots sociaux en EHPAD, en soulignant l’importance de l’innovation sociale et de la collaboration pour un avenir technologique mieux adapté aux besoins des personnes âgées et du personnel soignant. Ce travail de recherche recommande « une compréhension située de la réalité du soin au grand âge avant tout développement technologique ».

Contexte et Problématique : L’augmentation de la population âgée en perte d’autonomie en France accroît la demande d’accueil en EHPAD, qui sont déjà en crise socio-professionnelle, financière, sociale et politique. Partant de cette situation, la thèse explore la robotique sociale comme un vecteur potentiel pour améliorer la qualité de vie des résidents et alléger la charge de travail du personnel. En réalisant un état de l’art approfondi et en expliquant le fonctionnement des EHPAD, la thèse démontre que l’adoption des solutions robotiques actuelles est limitée par des obstacles techniques, éthiques, culturels et socio-économiques. Cette démonstration est soutenue par plusieurs études sur le terrain, impliquant des robots acquis par l’entreprise pour des tests et développements dans différents EHPAD.

2 projets de recherche-action sur le terrain : Le premier projet comprend trois étapes : l’observation d’un EHPAD sans robots, ensuite l’ethnographie de l’usage de six robots existants et fonctionnels dans sept établissements de Clariane et puis l’organisation et l’animation de cinq ateliers de codesign avec une diversité des parties prenantes de l’écosysteme d’un EHPAD. Le deuxième projet repose sur la conception participative d’une design fiction sous la forme d’un documentaire fictif. Ce documentaire explore des scénarios prospectifs intégrant une solution robotique, offrant ainsi une vision des futurs socio-technologiques possibles dans les EHPAD. Cette recherche propose une lecture approfondie du présent et des futurs potentiels de la vie en EHPAD, en mettant en lumière les défis et les opportunités des technologies robotiques dans ces environnements.

Conclusions et Recommandations :

  • Compréhension située : La thèse recommande une compréhension approfondie de la réalité du soin au grand âge avant tout développement technologique.
  • Formats de projet collaboratifs : Elle préconise la création de nouveaux formats de projet qui ouvrent davantage d’espace pour la collaboration entre les parties prenantes et remet en perspective la relation humains-robots, en suggérant de dépasser les logiques technocentrées pour favoriser des changements sociaux systémiques.
  • Méthodologie innovante : Le travail propose une méthodologie combinant des approches écologiques, participatives et spéculatives en design [design écologique, spéculatif et participatif (ESP)] pour aborder conjointement les transformations technologiques et sociales. Cette méthodologie repense la place des parties prenantes dans la détermination de leurs futurs et questionne les implications de l’usage de robots en EHPAD.
  • Utilisation des robots sociaux : La recherche utilise les robots sociaux non pas comme une solution, mais comme un outil de réflexion sur les futurs préférables de la vie en institution.

Échanges avec le jury lors de la soutenance

Les trois encadrants de la thèse de Nawelle ont pris la parole afin de mieux situer le contexte de la thèse de Nawelle. Stéphane Vial a mis en avant la qualité formelle et méthodologique de la thèse, félicitant Nawelle pour sa capacité à intégrer les aspects technologiques, humains et institutionnels de son sujet de recherche.  Il tient à mentionner qu’il voit dans ce travail de recherche un bel exemple de design social, où les besoins humains sont mis à l’avant-plan, avant la technologie et ses opportunités. La thèse présentée témoigne aussi de la force de travail de Nawëlle Zaidi, qui a commencé ce travail de recherche en 2020, dans un contexte de démarrage pandémique particulièrement difficile dans les EHPAD. Thomas Watkin a salué l’engagement de Nawelle dans la recherche en design et son aptitude à gérer des environnements complexes. L’originalité du travail est singulière et interroge les dynamiques du vieillissement à l’aune de l’entrée de la technologie par la robotique et de la transformation des institutions du soin. Nawelle a su faire du terrain en expérimentant par une posture délicate faisant toute la complexité et l’enjeu réflexif d’une recherche investie par l’observation et la pratique. Ioana Ocnarescu, a exprimé ses remerciements et son appréciation envers ses collègues Stéphane Vial et Thomas Watkin pour leur collaboration dans l’encadrement de la thèse de Nawelle Zaidi. Elle a également remercié les contributeurs du projet CIFRE au sein de Clariane, et a souligné l’importance des collaborations interdiciplinaires dans le laboratoire commun Robotics by Design Lab. La thèse de Nawelle Zaidi, qui explore la robotique sociale dans les EHPAD, est considérée comme exemplaire en raison de son approche systémique et de sa contribution significative à la communauté de la robotique sociale.

La parole est donnée aux deux rapporteurs de la thèse. Gentiane Venture, rapporteure, a souligné que le manuscrit de la thèse est très bien structuré, bien écrit, illustré, et soigneusement mis en page, rendant la lecture fluide et agréable. Venture a félicité la clarté, l’organisation et la documentation exemplaires du manuscrit, témoignant de la maturité exceptionnelle de Nawelle Zaidi. S’éloignant des approches technocentrées et solutionnistes, la candidate a utilisé des méthodes de design participatif et spéculatif pour fixer des nouveaux objectifs de sa recherche, décrivant clairement les études expérimentales et les méthodes utilisées. Cette rigueur méthodologique et l’usage de la design fiction pour explorer des futurs possibles ont été particulièrement appréciés. Lors de la session de questions, des sujets complexes ont été abordés, notamment les défis de la mise en place d’une méthodologie écologique. Gentiane Venture a interrogé Nawelle sur les approches alternatives qui pourraient être utilisées sans être aussi proches du terrain. Nawelle a expliqué que, sans l’accès direct au terrain, des approches comme les living labs ou les simulations en laboratoire pourraient être intégrées. Ces approches permettent d’inclure des parties prenantes, des utilisateurs réels ou des experts, pour apporter des perspectives précieuses.

Un autre point d’intérêt a été le documentaire de design fiction créé par Nawelle. Venture a demandé comment Nawelle avait réussi à imaginer cette sphère robotique et à en faire une forme concrète. Nawelle a expliqué que le point de départ était la robotique modulaire, suivie par un processus de design au sein de Clariane. Elle a opté pour un assistant vocal en mouvement, se détachant ainsi des modèles existants comme Alexa d’Amazon, pour créer une sphère dynamique. Venture a également posé des questions sur la création de ce robot comme une forme idéalisée. Nawelle a clarifié qu’il ne s’agissait pas de créer un robot idéal, mais plutôt de se détacher des conceptions traditionnelles. Les retours des personnes exposées à la fiction ont soulevé des questions importantes, parfois dérangeantes, nécessitant des discussions avec des parties prenantes extérieures au projet. Cet échange a permis de mettre en lumière la qualité et l’originalité de la thèse de Nawelle Zaidi, ainsi que la profondeur de sa réflexion méthodologique et théorique. Il a également enrichi la compréhension du travail accompli et des perspectives futures de la recherche en robotique sociale et design participatif.

Dany Baillargeon, le deuxieme rapporteur, mentionne qu’il a évalué la thèse non pas pour l’exercice menant au grade de docteure en SIC qu’elle suppose, mais bien pour la potentielle publication qu’elle appelle indéniablement. Elle est exceptionnelle à la fois sur le plan théorique, sur le plan méthodologique, que dans l’ampleur et la profondeur des données collectées de même que l’analyse fine qui en est faite. Chaque étude permet de revisiter, voire de remettre en question, les approches traditionnelles de l’innovation sociale, du design participatif, et du design spéculatif. Chaque étude permet de revisiter, voire de remettre en question, les approches traditionnelles de l’innovation sociale, du design participatif, et du design spéculatif.

Dany Baillargeon souligne la nécessité d’une prise de distance critique vis-à-vis des approches participative, spéculative et écologique dans la thèse. Il critique le fait que ces approches sont souvent idéalisées sans prendre en compte leurs limites bien documentées, telles que les tensions liées au développement de nouvelles solutions, le désengagement des parties prenantes et la longue durée nécessaire à leur mise en œuvre. Bien que la thèse propose le design écologique, spéculatif et participatif (ESP) comme solution pour intégrer les robots sociaux dans les EHPAD, Baillargeon souligne le besoin d’une démonstration concrète de son applicabilité pratique. Il note que l’approche ESP semble soulever des questionnements sans offrir de solutions pratiques, ce qui pourrait être en désaccord avec les impératifs économiques et pratiques des institutions. Baillargeon soulève également des questions sur l’inclusion du corps des résidents dans la thèse et la nécessité de clarifier la vision des EHPAD en tant que lieu de vie ou de soins, ce qui est crucial pour le design des robots sociaux : faut-il les concevoir comme des robots de soins ou de compagnie ?

Ensuite la parole est donnée au membre invité et aux examinateurs. François de Chalendar, membre invité du jury, souligne l’importance cruciale de l’échelle dans les expérimentations de robots sociaux. Il exprime que malgré l’intention initiale de tester sept robots, la thèse a mis en lumière que ces technologies ne sont finalement pas adaptées à tous les contextes des EHPAD. Chez Clariane, qui supervise 300 EHPAD, l’échelle pose un défi significatif pour l’expérimentation. Il est essentiel de partager des solutions efficaces à travers tout le réseau, ce qui nécessite une approche stratégique et intégrative. François de Chalendar souligne que la technologie peut être une partie de la solution, mais que l’intégration de ressources est essentielle pour financer des espaces permettant d’explorer de nouvelles méthodes issues de la recherche.

James Auger, examinateur, explique qu’il s’agissait d’un excellent exposé de l’approche du 20ème siècle vis-à-vis de la technologie car ce travail un excellent exemple de la manière dont “un designer peut véritablement comprendre le contexte et la problématique avant de concevoir – pour remettre fondamentalement en question le cahier des charges tel qu’il a été défini au départ”. James Auger explique également que “ce n’est pas au robot de demain qu’il faut penser, mais à ce que nous essayons de transformer, c’est-à-dire les relations entre les personnes, la manière dont les soins sont dispensés, les conditions de vie et de travail dans une maison de repos, etc.” Ce point d’entrée techno-centrique a soulevé une question presque existentielle pour la thèse : est-il possible pour la recherche en design de partir d’une technologie comme point d’entrée ? Auger a conclu en posant les questions suivantes : Du point de vue de la conception spéculative la thèse fournit une excellente analyse du modèle existant et nous aide à savoir ce qu’il faut éviter, dans quelle mesure le projet de design fiction (le documentaire qui presente le “robot sphère” réussit-il à nous informer sur ce qu’il faut viser ? Et comment grâce à cette thèse nous pouvons repenser la croyance dans la technologie ?

Manuel Zacklad, président du jury, conclut l’examen de la thèse de Nawelle Zaidi en mettant en avant son inventivité méthodologique remarquable. Il loue la richesse du matériel empirique présenté, les représentations graphiques heuristiques, les photos et les transcriptions d’entretiens qui enrichissent le mémoire. Zacklad souligne la facilité de lecture et la qualité remarquable de la mise en forme du document. Il apprécie particulièrement les réflexions critiques dans la dernière partie de la thèse, qui explorent les questionnements socio-éthiques liés à la pratique du design. Cependant, Zacklad identifie quelques limites dans la recherche. Il note un manque de relation avec certaines approches en Sciences de l’Information et de la Communication, ainsi qu’avec ses propres réflexions dans le domaine du co-design. Il soulève deux questions principales : la place des usagers, particulièrement des personnes âgées, dans le mémoire et le documentaire de design fiction, et les références à l’approche écologique définie en référence aux visions systémiques. Concernant la première question, il reconnaît que l’état cognitif des personnes âgées en EHPAD limite leur participation classique, mais il encourage à explorer des formes de participation adaptées à leur situation « empêchée ». Pour la deuxième question, il suggère que les modélisations doivent mieux décrire les composantes nécessaires pour intégrer de nouveaux artefacts robotiques dans une perspective écologique, notamment en termes de synchronicité et d’asynchronicité des activités, d’utilisation d’artefacts médiateurs tangibles et symboliques, etc. Ces points soulignent l’importance de poursuivre les recherches pour développer des approches inclusives et écologiques dans le domaine du design des robots sociaux pour les EHPAD.