Dans le cadre de l’événement des 20 ans de l’inspirate maison d’édition La Volte, Strate École de Design a présenté des objets de design fiction inspirés des univers des livres de la maison d’édition.
Fondée en 2004 par Mathias Échenay, la Volte a développé une posture éditoriale originale qui mêle récits d’anticipation et réflexions critiques, expérimentations littéraires et prises de position politiques. C’est Li-Cam, auteure de quatre romans et une trentaine de nouvelles qui a choisi les textes pour leurs thématiques liées aux grands enjeux de notre époque et à leur portée projective (écologie & vivant, technologies, low-tech & système D, …). Elle a également encadré les étudiant.e.s de Strate avec Isabelle Cossin et Ioana Ocnarescu sur ce projet. Ainsi, 20 étudiant.e.s designers volontaires ont imaginé et créé 9 objets (accompagnés d’un texte et d’une affiche) inspirés de six extraits de récits. Ceux-ci ont été exposés à Ground Control à Paris les 10 et 11 février 2024 dans le cadre de l’évènement RêvesVoltes.
De l’interprétation d’un monde à l’objet symbolique
Avant de devenir des supports de communication, les prototypes des étudiants designers représentent déjà une interprétation et une sorte d’engagement. Ils permettent d’incarner un panel d’informations et d’émotions triées sur le volet pour en faire émerger du sens. Incarner un texte de fiction prend une dimension particulière dans le sens où il matérialise une perception, un imaginaire passé au filtre de l’individu pour devenir le support d’une projection ou réflexion qui peut être collective. C’est avec cet enjeu que les étudiant.e.s ont développé leurs idées, sans forcément connaître le livre dont était tiré l’extrait sélectionné. Cela était d’autant plus intéressant, qu’une partie de hasard, voire de sérendipité, pouvait intervenir au cœur de la formalisation des idées.
Ainsi, le Grap’air (issu de La trame du collectif Bombyx Mori – Novella collection Eutopia – 2023), la combi-stalgie ! (Retour au pays létal de Ketty Steward – nouvelle parue dans L’anthologie « Faites demi-tour dès que possible » – 2014) ou encore l’EcoStat (Visite de Li-Cam – 2003) sont des formalisations d’objets décrits dans la fiction, mais sujettes à une réinterprétation du monde dans lequel ils s’implantent. Ces prototypes au-delà de leur forme ne prennent leur sens qu’à partir des mondes où l’environnement y est à la fois luxuriant (c’est une des principales ressources) et hostile ou dans lequel il devient difficile de respirer, boire, voir et se nourrir ! Certaines créations peuvent par ailleurs s’éloigner des textes initiaux en proposant des objets qui ne sont pas décrits dans les extraits mais qui pourraient s’y inscrire en termes de représentation, d’usage ou d’univers. Phérod’or, un bijou pour chacune (Chromozone de Stéphane Beauverger – roman – 2005) n’est pas un objet issu du texte initial mais devient une manière de décrire une ambivalence qui ressort du récit : d’un côté le moyen de reconnaissance faciale, donc de surveillance moulé sur chaque visage et de l’autre le symbole fort de du dévouement des adoratrices.
D’une toute autre manière, Sola, lanterne guérissante (Retour au pays létal de Ketty Steward – nouvelle parue dans L’anthologie « Faites demi-tour dès que possible » – 2014) est une interprétation, un manifeste de la notion de deuil. Inspirée à la fois de la nostalgie et de la solastalgie, cette lanterne permet de semer des souvenirs lors d’une traversée rédemptrice de la terre dévastée. Quant à la machine à broder l’(es)sens-ce du mouvement (Les Furtifs d’Alain Damasio – 2019), elle permet de matérialiser la présence d’un furtif à travers les apparitions progressives et poétiques des différentes couches de perception, de la plus mécanique à la plus fine : le tissu et ses replis, la broderie shakito (les lignes, mécaniques), les traces des furtifs et enfin le fil rouge, le rythme particulier d’un furtif !
Incarner des valeurs
Si le texte – aidé des explications de Li-Cam qui ont permis dans les premiers suivis de recontextualiser et de dresser les univers – a été le support de réflexion et d’inspiration de la plupart de ces objets rê(ve)voltés, les étudiant.e.s designer ont pu prendre certaines libertés dans la réalisation de ces objets pour matérialiser des univers singuliers. Les textes choisis étant porteurs de message et de projection dans un avenir bien souvent sombre et complexe où les problèmes environnementaux sont légion et les inégalités sociales se multiplient, les étudiants ont travaillé à partir de leur interprétation du texte pour proposer des objets (prototypes) et environnements (affiches) fantaisistes ou réalistes mais toujours très sensibles et qui incarnent les valeurs du récit. Ainsi, en remettant le vivant au centre (La Tour de Soie ou l’EcoStat d’après Visite de Li-Cam – 2003) et en utilisant des matériaux simples e/ou de récupération pour figurer le besoin de maintenir le plus possible un équilibre de vie et préserver ainsi l’habitabilité du monde, l’usage du low-tech montre (à l’instar du design néo-industriel) qu’une technologie respectueuse du vivant peut exister.
Même dans un monde futuriste où l’humanité a échappé de justesse à une catastrophe écologique, les matériaux recyclés et le bois durable peuvent symboliser notre désir de rédemption écologique comme notre engagement envers un avenir où la nature et l’humanité coexistent en harmonie. De fait, prendre soin de la nature, c’est aussi prendre soin de l’humain ; c’est ce que montre les projets Respirothérapie & Corps-âme, médecine et savoir ambulants (tirés de Les derniers possibles de Chloé Chevalier – nouvelle parue dans l’anthologie « Sauve qui peut, demain la santé » – 2020). Occuper l’esprit par des traces de voyages du passé, calmer pour mieux soigner, utiliser le système D pour déployer l’énergie nécessaire au déplacement, à la filtration de l’air, à la projection d’images mais aussi à la collecte … n’est-ce pas la question du collectif qui se dessine derrière cette notion de soin de SF ?!
L’intérêt pédagogique de ce projet réside dans le fait d’imaginer des objets du futur capables d’incarner la richesse, la complexité et l’univers d’un roman de science-fiction. Cet exercice de création libre avait également pour objectif d’offrir une opportunité à la jeune génération d’étudiant.e.s en design d’explorer l’avenir en lien avec les impacts socio-économico-politiques et les enjeux des limites planétaires auxquelles se confrontent nos sociétés … et de manière plus globale, de leur faire découvrir la puissance incomparable de la fiction !
Des outils de projection
In fine, ces objets produits et exposés sont devenus les supports de présentation lors d’un atelier “Design fiction” organisé avec Li-Cam à Ground Control et dans lequel le public devait en deviner les usages. Ainsi, ces créations conçues comme des prototypes ont pris leur “indépendance” en devenant des vecteurs d’imaginaires, des déclencheurs de réactions et des catalyseur de discussions, bref des outils de projection pour un public venu se confronter à la fois à la (science)-fiction et à ses propres expériences ; une manière de se réapproprier les récits pour anticiper et projeter un avenir commun !
Ground Control dans le cadre de l’évènement « Ceci n’est pas un rêve » : https://www.groundcontrolparis.com/project/revesvoltes/
Merci aux étudiant.e.s : Juliette Guérin, Caroline Perret, Clément Parfait, Joa Sigward, Valentine Roulin, Alexy Bonnet, Solène Vandeplanque, Aurélien Arnold, Maxime Girard, Arthur Nosjean, Kim Hubert, Noé Després, Margaux Bacque, Chloé Camajou, Zahra-Lina Bartelmann, Rémi Gillet, Laurent Lamy de Fustec, Dimitri Mercui et Hugo Nezzar.









