Fin janvier, nous avons eu le plaisir de participer à ART DESIGN RECHERCHE CONFERENCE (AD.REC), une conférence qui rassemble chercheur.e.s, artistes et designers du monde entier avec pour ambition de promouvoir l’excellence académique et artistique dans le domaine de la recherche en art et design. Elle s’est déroulée sur 3 lieux différents et a rassemblé plus de 300 participant·e·s de différents pays.
Nous avons eu la joie d’être sélectionné·e·s pour présenter nos recherches lors de cette première édition limit/no limit. C’était l’occasion de présenter les premiers résultats de l’analyse des 170 projets produits par les étudiant·e·s de Strate lors du grand workshop de rentrée Future[s] Fiction[s].
Le “nous” impliqué dans cette recherche est aussi le fruit de la collaboration lors du workshop de rentrée entre 3 institutions : Carbone 4, représenté par Pierre-Baptiste Goutagny, chef de projet et doctorant Carbone 4 x emLyon x Strate, Strate Research avec Ioana Ocnarescu, directrice de la recherche, Emna Kamoun, Estelle Berger et Isabelle Cossin, enseignantes chercheuses, avec la contribution de Max Mollon, chercheur indépendant, spécialiste en design fiction et fondateur du Laboratoire des déviations écologiques.
Avec pour titre “Des scénarios prospectifs au design fiction. Imaginer, projeter et mettre en débat des futurs compatibles avec les limites planétaires”, nous voulions rendre compte du lien entre un projet de recherche-action pour construire des scénarios compatibles avec les limites planétaires avec des acteurs économiques et un projet pédagogique sous forme d’atelier de design fiction pour incarner ces scénarios et les questionner.
Comme point de départ, les étudiant·e·s ont été par des scénarios « cadres » combinant différentes trajectoires climatiques et des narratifs décrivant des évolutions possibles des activités humaines (se déplacer, se loger, se nourrir, se vêtir, se soigner, se divertir / se former / s’informer / communiquer et acheminer des biens). Chaque groupe a été contraint par un modèle de société, une trajectoire pour le réchauffement climatique (de 1,5° à 3°), un état de la biodiversité et ne devait traiter qu’une seule des activités humaines.
Cette matière constitue à nos yeux un riche répertoire de “fragments de futurs possibles” composé de représentations de produits, de services et d’expériences imaginés par des designers en herbe. L’analyse des projets a donc pour objectif de répondre à ces questions : Comment les étudiant·e·s en design arbitrent-il·elle·s entre valeurs, aspirations et contraintes liées au changement climatique et son impact sur les activités humaines ? S’agit-il de prendre en compte ou bien de transcender ces limites ? Quels mondes décrivent ces projets dans le continuum entre utopie et dystopie ? Et quel rôle du design entre apporter une solution et questionner la désirabilité ?
Nous avons donc cartographié l’ensemble des projets selon une matrice associant l’orientation du projet (poser des questions vs proposer des solutions) et le monde décrit dans le projet (dystopie vs utopie).

Nous avons observé une forte proportion de fictions orientées vers la résolution de problèmes quelle que soit la narration et le degré de prise en compte des limites et contraintes. Cela questionne la prédisposition des designers à chercher des solutions quelque soit la situation.
Est-ce un signe que la formation classique en design encourage une perspective optimiste sur l’avenir ? ou Est-ce un signe que les scénarios les plus populaires associés aux utopies sont ceux qui correspondent le plus aux principales valeurs sociales partagées par les étudiants ? La question est à creuser !
Nous avons aussi remarqué que très peu de visions utopiques tentent de poser des questions. Cela rejoint la littérature scientifique et confirme que l’utopie à l’origine et dans l’histoire est associée à une posture de persuasion. Ainsi, pour qu’une utopie soit questionnante, il aurait fallu ajouter des critères relatifs à la pluralisation des points de vue (comparer 2 utopies ou proposer 2 niveaux de lecture opposés d’un même artefact).
L’observation la plus intéressante porte moins sur le rapport des étudiant·e·s aux limites planétaires que sur leur rapport à une autre limite : l’impossibilité de résoudre un problème trop grand, celui d’un monde qui bascule dans la non-soutenabilité. En effet, la majorité des projets décrivant des dystopies sont associés au scénario dont la trajectoire climatique est la plus critique (+4° et biodiversité en danger). Dans ce cadre, les étudiant·e·s n’ont pas cherché à solutionner des problèmes mais ont proposé des scénarios et artefacts qui questionnent dans le but de provoquer une émotion et réaction (surtout de rejet).
Si dans cette première phase nous avons choisi d’analyser le projet comme une unité, il serait aussi intéressant d’étudier les représentations et imaginaires des jeunes designers à travers le rapport entre le texte et l’image. Cette première analyse sera poursuivie pour aborder également d’autres aspects tels que les représentations du vivant, ou encore de la technologie dans des futurs contraints.

